POEMES DE LYDIE DE RICARD, épouse de XAVIER DE RICARD
UN PEU D’HISTOIRE…
1843. XAVIER DE RICARD naît le 25 janvier à Fontenay-sous-Bois.
1862. Son premier recueil de poésie, Les chants de l'aube est publié chez Poulet-Malassis.
1863. En mars, grâce à l'héritage d'une tante, il fonde La Revue du progrès. Parmi les collaborateurs, on remarque Charles Longuet et le jeune Verlaine. La revue dure un an ; son athéisme affiché lui vaut, de la part de Monseigneur Dupanloup, un procès pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Bien que défendu par un jeune avocat plein de talent, Léon Gambetta, il est condamné à huit mois de prison, bientôt réduits à trois, à Sainte Pélagie, et à une amende de 1200 F. A la suite de sa condamnation, ses amis lui manifestent un actif soutien, et ce petit groupe fut à l'origine du salon politico-littéraire qui se réunira chaque vendredi chez la mère du poète, au 10 Bd des Batignolles. La marquise de Ricard est très fière de recevoir cette jeunesse républicaine et anticléricale, un peu bruyante. Plusieurs futurs grands poètes et écrivains en font partie : Anatole France, Sully Prudhomme, Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine, François Coppée ; mais aussi Raoul Rigault, le futur procureur de la Commune de Paris en 1871.
1873.
Xavier de Ricard épouse une amie d'enfance, une jeune écossaise, Lydie Wilson, qui écrira des poèmes en occitan.
Ricard s'installe près de Montpellier avec sa femme. Il développe ses connaissances dans l'histoire des Albigeois. Il écrit dans les feuilles locales républicaines et se passionne pour le Félibrige.
1876. Il fonde La Commune libre.
1877-1879. Il publie l’Almanach de la Lauseto et les deux numéros de L’Alliance latine. Mais, opposé à l'orientation réactionnaire donnée par Mistral au mouvement, il s'en sépare et justifie son appellation de félibre rouge (lo felibre roge).
1880. Décès de sa femme. Elle laisse un recueil de poèmes en français et en languedocien.
Ricard fera paraître en 1891 chez Lemerre, Aux bords du Lez, qui contient les poèmes de sa femme et ses traductions de troubadours (Guilhem Figuera et Marcabru).
Voici quelques poèmes tirés de ce livre …[]
LA LUNE DANS LE LEZ
Soudain, parmi les joncs du bord, une blancheur
Éblouissante éclate : c’est la lune ; lentement,
lentement elle gagne le large ; - elle semble,
nageant au milieu des étoiles, un beau cygne
conduisant sa candide nichée.
Le saut brusque d’un poisson ou d’une rainette fait
Un bref tourbillon, et des flots ronds, alors, allument
Des flammes pâles à la lune , dans l’eau.
CREPUSCULE AU BORD DU LEZ
Je veux, assise emmi les blondes amarines,
Subir l’enchantement des extases divines
Au bord des eaux,
Et, dans l’ambre fluide et frais des crépuscules,
Laisser vibrer mon âme avec les libellules
Et les roseaux ;
Car le rêve, tandis que s’anuitent les prées
En la calme tiédeur de ces belles vêprées,
Devient lueur,
Et quand, pour les regards, les formes se font vaines,
Alors l’essaim charmant des visions sereines
S’éveille au cœur ;
Candides, et menant les rondes cadencées,
Qu’elles chantent en moi les intimes pensées
Ou, mieux encor,
Que très, très lentement se dissolve ma vie
Au pur embrasement de votre poésie,
O clairs soirs d’or !
LES BORDS DU LEZ
Rive de mon joli Lez, -- pourquoi fleurir si sereine ? –
Pourquoi chanter, gentils oiselets, -- quand mon
Cœur est comble de peine ? – il le transperce, ton
Gazouillis, -- oiseau de la ronce épineuse ; -- il me rappelle
Ma joie enfuie… -- pour ne plus revenir, hélas !
Par tes berges, mon joli Lez, -- quand les roses se
Mariaient, -- qu’ensemble nous avons erré de fois ! –
(les amours des oiseaux chantaient.) –
Le cœur gai, je cueille une fleur – douce sur sa tige épineuse ; --
Mais, lui, méchant, vola ma fleur, -- me laissant l’épine, hélas !
LOUS BORDS DAU LEZ
Ribada de moun poulit Les,
Perque flourejà tant serena ?
Perque cantà, gents aucelets,
Quand moun cor es coumoul de pena ?
Lou trauca, toun gazoulhadis,
Aucel dau rounzàs espignaire :
Me bremba moun gaud fugidis …
Per tournà jamai pus, pécaire !
Per tous dougans, moun poulit Les,
Quand las rosas se maridavoun,
Qu’ensen avem trepat de fes !
( Lous amours das aucels cantavoun !)
Lou cor gal culisse una flour
Doussa sus soun ram espignaire :
Mès, el, michant, raubet ma flour…
Me quitant l’espigna, pecaire !...
LE LEZ
Ton amour est le Lez, qui tout squammé d’éclairs,
Translucide et joyeux, en ondulant s’abrive
Entre le chant feuillu des arbres, que sa rive
Mêle en ombre diffuse au reflet des cieux clairs.
Le Lez a le regard profond de tes yeux vairs
En ses golfes calmés, où son eau plus tardive
S’alentit sous la fleur des nymphéas, oisive
Lueur jaune, au milieu des cils de ses joncs verts !
Comme lui, ta pensée entraîne des mirages
De coteaux assombris de pins, et de villages
Poudroyants, d’où s’érige un long clocher vermeil ;
De champs herbus, charmés de senteurs vivifiques,
Et d’ermas rocailleux, tout rongés de soleil,
Où rêvent des pâleurs d’oliviers pacifiques !
Montpellier, avril 1877.